Cette
seconde édition du TDG a été un rendez vous à la fois plein de promesse au vu
d’une performance qui m’a permis de côtoyer les sommets et les sommités, et en
même temps la rencontre avec, ce que l’on craint tous un jour, la déchéance
physique et psychologique. Cela reste en attendant un magnifique voyage de 335
km et 24.000D+, une incroyable succession des plus beaux sommets et paysages du
Val d’Aoste.
La
première édition était exploratoire. Personne n’avait de véritable référence
sur ce type de parcours, ni sur ce format – distance et dénivelé en gestion-
non-stop – ce qui permettait toutes les expérimentations en terme de stratégie,
notamment de sommeil. Mon retour d’expérience du TDG 2010 avait été de dormir
régulièrement entre 1h et 1h30. En partant de la 20/30° place, la remontée
s’était faîte régulière autour de la 10/12° place à mi-course, puis jusqu’à la
8° au grès des abandons de l’élite et d’une forme incroyable au 3° jour. Un
fort problème au releveur droit avait stoppé net la progression pour ne finir
qu’en 37° position et 118h, mais la cible des 103/105h était dans la besace et
devait me rester ma référence horaire pour 2010.
J’en avais retiré les conclusions
suivantes :
- être
patient : beaucoup de casse physique sur ce parcours, concluant soit à des
abandons, soit à de forts ralentissements pour des compétiteurs ayant plusieurs
heures d’avances et les perdent très
rapidement (cas d’Uli avec 10h d’arrêt à Coda et perd toute son avance),
- repos
court mais régulier : ne pas attendre d’être épuisé, prendre un repos dès
la première nuit et ensuite régulièrement, tout en s’adaptant au parcours
(difficulté à venir), à la météo (grosse chaleur, orages), ou tout simplement à
son état,
- garder
une marge sur son potentiel physique : mon problème au releveur avait été
initié par des descentes trop engagées avant Cuney, et ce près de 10h plus
tard. Tout sur-effort se payse cash plus tard sur un parcours aussi long et
intense.
J’ai
mis de gros espoirs sur cette seconde édition. Très en forme physiquement avec
un entrainement régulier en montagne, un psy en acier grâce à une sortie au
Grand Raid des Pyrénées qui se passe très bien même si le week-end n’est pas
très orthodoxe. Ensuite je connais le parcours, ses parties dures physiquement (Col Loson, Coda) ou moralement (descente
Ollomont, liaison St Remy). Je prévois
un temps entre 93h et 103h, et donc d’écourter les temps de sommeil pour un
total autour de 4h répartis régulièrement sur 4 jours et 4 nuits. Maintenant
action !
Secteur
1 Courmayeur – Valgrisenche – 49,7 km et 3.750D+ en 7h44’
Sommeil
0
A
l’avant des 500 coureurs, le départ du peloton de tête se fait rapide. Y figurent Ulrich Gross, Christophe Lesaux,
Jules-Henri Gabioud , Pierre-Henri Jouneau, Grégoire Millet, … J’y suis à mon
allure, peu essoufflé comparé à l’an dernier où je revenais d’une angine. La
montée au Col d’Arp se fait avec des pointes régulières à 18m/mn . Mon cardio affichera parait il 170.
Dingue je ne savais même pas que je montais encore aussi haut ! A la Thuile je rejoins l’ami Grégoire qui
nous fait un pit-stop de Formule 1 auprès du Command Car familiale. On repart
ensemble, il parait que l’on est déjà 8 et 9ème en 2h22, et beaucoup
plus vite que Guillaume l’an dernier (2h32 pour Ulrich et 2h42 pour Guillaume).
Dans la montée au refuge Deffeyes le CMBM réunit en nombre me lance des
encouragements qui impressionnent Greg et me font chaud au cœur. L’avantage
d’être un –presque – régional de l’étape. Arrivé au refuge. Oups j’ai oublié
mon récipient à la Thuile. Je demande à l’orga s’ils peuvent me la faire
remonter à l’un des prochains ravito/base vie. Et l’heureux improbable se
produit, un spectateur me tend son propre récipient Raidlight à l’identique du
mien et me le donne. Mille merci à cet anonyme. Je franchis le Passo Alto avec
un randonneur qui s’accroche bien le bougre. Au sommet présence solo du camarade Bollet du CMBM qui est tout aussi
surpris et me conseille d’en garder sous le pied. Reste à définir ce concept exactement sur ce
genre d’épreuve ! Le final du col Crosatie est toujours aussi acrobatique
et beau. La caméra de l’organisation me poursuit jusqu’à la bascule.
Valgrisenche première base vie à 17h44. Déjà presque 2h d’avance sur 2010. Cette année le barnum est sous tente. Ulrich
est à table. Je prends 13 minutes pour changer de chaussures (deux paires de
Brooks Cascadia qui me vont comme un gant …de pied), changer le short pour le
corsaire en vue de la nuit fraiche annoncée, manger un plat de pates et un bol
de soupe. Dans ce laps de temps, trois coureurs font irruptions et passent sans
s’arrêter. Non stop ou assistance extérieure ?
Secteur
2 : Valgrisenche – Cogne – 56 km et
4.137D+ en 13h45
Sommeil 40’
Premier
changement par rapport à 2010. La montée au Col Fenêtre s’opère de
jour. Un autre coureur m‘accompagnera toujours de loin car jamais au même
rythme. On se dédouble. Je le lâche à la descente sur Rheme-Notre -Dame. Il me
remonte sur le final du col d’Entrelor. Il pleut depuis le Col Fenêtre, j’ai ma
veste et mes gants Goretex, j’ai froid. Lui passe en t-shirt manche courte et
me dit avoir chaud. On n’est définitivement pas fait de la même matière !
Toujours est il que j’ai choppé froid et que j’ai mal au bide. Mon pronostic
d’arrivée à Eaux-Rousses vers 1h du mat est respecté (0h39, versus 4h en 2010).
J’avais envisagé un non stop jusqu’au refuge Sella me permettant d’enchainer le
terrible col Loson et ses alt 3.300m qui m’avait procuré mon premier MAM en
2010. Mais mon mal de bide persistant et une certaine méforme me poussent
gentiment dans le bras de Morphée. Jules-Henri dors aussi dans une autre
chambre, mais je ne le saurais que plus tard. 40mn de repos ne me remettent pas complètement à
flot. La montée au col Loson est du coup assez laborieuse mais pas plus qu’en
2010. Seulement deux coureurs me doublent pendant mon sommeil (quels écarts
déjà !), deux autres pendant l’ascension. Rien de dramatique. Je me résous
à enlever ma poche de devant qui ballote sur mon ventre pour le soulager. Elle
transporte ma réserve de nourriture. Mais en fait je n’en ai pas besoin. Sur
toute la course je ne consommerai quasiment rien de ma réserve personnelle, les
ravitaillements de l’organisation étant amplement suffisants. Je la laisse dans
mon sac à Cogne où j’arrive à 7h45 en 12ème position et avec
exactement 4h d’avance sur 2010. Déjà 21h45 de course, le temps pour moi de
bien ravitailler, changer les piles de la lampe en prévision de la prochaine
nuit. 32 minutes en tout, exactement comme prévu.
Secteur
3 : Cogne – Donnas – 44 km et 1.133D+ en 12h19’
Sommeil
1h - Cumul 1h40’
Je
repars en 8ème position, visiblement certain de ceux qui m’ont passé
la nuit font un gros dodo. Et contrairement à l’an dernier je cours toute la
longue partie de plat montant et dans les bois. Dans la montée assez facile
vers le Refuge Sogno, un coureur Italien qui a abandonné m’accompagne et me
fait la conversation. Il parait qu’un petit groupe de coureur est juste 30mn
devant. Parmi eux le 6ème Jules-Henri que je vois en finir avec le
Col Fenêtre. Du coup je monte ce dernier encore plus motivé, en 30 minutes,
avec le doux espoir de reprendre Jules-Henri dans la descente. Espoir déçu en
dépit d’un bel engagement dans les longues marches vers Champorcher. Au passage
je suis passé 7ème sans jamais doubler personne. Toujours bon à
prendre. En revanche les dix derniers kilomètre avant Donnas sont un calvaire
d’autant plus redoutable que contrairement à l’an dernier où j’y étais de nuit,
il y fait très très chaud. Quelques passages sur route sont un vrai four. A
Donnas je suis accueillis avec enthousiasme par le team mené par Francis
Degache et Guillaume Millet pour l’expérimentation scientifique menée
conjointement par les universités de Lausanne et de Verona sur l’évolution
physiologique et psychologique des coureurs d’ultrafond. Nous sommes une
vingtaine de coureurs à y participer dont Grégoire Millet qui est le premier à
avoir fait les tests de mi-course. Ces tests ont été fait avant le départ, et
seront également réalisés à l’arrivée. En plus je porte un GPS et une ceinture
cardio (ce que je ne fais jamais en course !) pour étudier le rythme du
cœur en fonction des vitesses de montée et de descente.
Les
tests :
1.
contrôle postural : on reste debout pendant 3 x 50s sur une
plateforme posturographique
2.
Composition corporelle : par bioimpédance (système Zmetrix), la
répartition des différents tissus du corps humain (masse grasse, contenu
minéral osseux…)
3.
Fatigue neuromusculaire : on évalue la baisse de force volontaire et avec
une stimulation électrique des muscles du quadriceps et du mollet.
4.
inflammation : prélèvement sanguin (par infirmière locale) + circonférence
des cuisses et mollets (oedeme)
5.
Technique / mécanique de marche et de course : marcher et courir (à 12
kmh) pendant 10 msur un tapis posé au sol.
6.
Cognition – facultés cérébrales : un test sur ordinateur pour évaluer le
ralentissement de notre petit cerveau
Je ne
fais pas le 6 car trop long, ni le 1 car … je m’évanouie ! J’ai encore
pris un coup de chaleur, et souffre en plus (Greg me le dira à l’arrivée) d’une
hypertonie parasympathique (malaise vagale due à un ralentissement du cœur trop
fort, sorte d’hyper adaptabilité à l’effort d’endurance, trop bonne récupération). Les tests prennent une grosse trentaine de
minutes.
Du
coup Guillaume se mue en coach et me conseille de dormir deux ou trois heures
pour repartir le soir au frais et avec d’autres coureurs. Je dors une heure
(trop chaud dans le gymnase de Donnas), m’alimente en pates et soupe. Je suis
arrivé à 16h32, je repars à 18h34 (22h26 et 0h38 en 2010) en 10ème
position après l’arrivée-départ de Anne-Marie Gross.
Sommeil
40’ - Cumul 2h20’
Je
repars juste derrière Eric Arveux - le Pyrénéen -(on aura été sans concertation
aucune sur l’Andorra Ronda Del Cims, le GRP, et le TDG .Si c’est pas de la
persécution !!!) et Ludovic Frattini dont je fais la connaissance. La
stratégie de Guillaume marche superbement. La température ambiante baisse. Le
rythme de Ludo est juste parfait pour moi. On lâche à regret Eric, mais le duo
Ludo/Steph fonctionne à merveille. Il fera le rythme toute la montée vers Coda,
moi calé sur ses pas. Notre discussion devient très fraternelle. Je me vois
bien faire le reste de la course avec ce skieur de fond avec qui j’ai beaucoup
d’anicroches. Anne-Marie que nous avons doublé plus bas est calée 100 mètres
derrière nous et papote en germain avec son frêro qui abandonné sur la première
section. L’arrivée sur Coda est magnifique avec une plaine lune qui fait
briller le Mont-Blanc et toute la plaine du Pô éclairée et plate comme une mer
calme. Ludo part telle une flèche sur les 100 derniers mètres de dénivelé, et
rattrape même le 6ème avant le refuge. On y reste une vingtaine de
minutes pour ravitailler. Il est minuit, et le trajet vers Niel est encore long
et pas simple dans une montagne assez rude. Il faut y être vigilant sur le
balisage. Dans la descente, toujours menée par Ludo, nous rejoignons l’Espagnol
Pablo Criado. Il parle bien Français, est très sympatique, semble peu ou prou à
notre rythme. Allez, adopté. On est trois. Malheureusement Ludo est repris par
une méchante tendinite au genou. Dans la montée avant le Lac Vergno il nous dit
de partir, il va mettre son genou dans l’eau froide du lac et strapper.
Snif ! Dans la montée je suis plus rapide que Pablo, au col il fait froid.
Je décide de partir seul vers le
ravito/contrôle près du lac. On s’y était soulagé les jambes avec l’ami Etienne
en 2010. J’ai vraiment sommeil. Je décide d’y dormir 40 minutes. Pablo aussi.
Nous voici dans l’algeco monté par hélico, lui au chaud dans un duvet, moi sous
une frêle couverture, brrr ! On dort comme des bébés, et hop driiiiiiiing,
faut repartir !
Un thé pour petit déj, et la dernière ascension vers le
Col de la Vecchia passe très facilement. Le repos aura été très bénéfique.
Arrivée à Niel au matin à 7h44 (8h d’avance sur 2010), je croise le papa de
Grégoire qui essaye de se remettre d’une tendinite, et Ludo qui nous a passé
pendant notre repos et lui aussi doit mettre le clignotant et reposer sa
tendinite. Que de dégâts ! Du coup avec Pablo nous repartons en 5 et 6ème
position. Petit coup de mou, je m’accroche à Pablo. En revanche ma descente est
beaucoup plus rapide. A la troisième base vie de Gressoney on a juste quelques
minutes d’écart, il est 11h15. On y reste 32 minutes le temps d’une douche, la
première, et d’engloutir deux rations de délicieuses pâtes, la meilleur sauce
de toutes les bases vie ! On a seulement
deux heures de retard sur Salvador Caldo (2ème l’an dernier) qui
semble ralentir fortement, quatre heures de retard sur le troisième
Jules-Henri, six heures sur le premier – Christophe Le Seaux. De ce côté ça va
être compliqué, même si d’expérience rien n’est jamais joué. Derrière,
Anne-Marie est à plus de 40 minutes et perd du terrain. Ensuite ça se joue en heures. Les positions
sont bien établies.
Section
5 : Gressoney – Valtournenche – 39 km et 2.749D+ en 8h49’
Sommeil
0 - Cumul 2h20’
Des
amis de Pablo l’ont rejoins et l’accompagnent. Ca n’arrête pas de parler … en
Espagnols. Et patati et patata. Je n’en peux plus. Je déteste ça en montagne.
Je veux être dans ma bulle. Je veux bien la partager avec d’autres coureurs ou
même des accompagnateurs occasionnels qui s’adaptent à mon humeur. Mais là je
subis. Alors je pars devant. Dans la montée au Col Pinter je croise Salvador
qui est blessé et qui abandonne. Poignée de main, et l’hélico arrive qui vient
le chercher. C’est bien foutu cette ballade tout de même ! Je passe 4ème.
Bon pour le moral. Comme la forme est là j’en profite même pour accélérer. Je
vais cumuler 50 minutes d’avance sur Pablo à Saint Jacques en moins de 22 km et
1.400D+. J’ai une forme et un moral d’enfer. Du coup la montée au Col Nana est une
formalité à 13m/s régulièrement. En plus un des pompiers Italiens m’on vu avec
leur 4x4, s’arrêtent à mi-montée, et m’encouragent à tout rompre. L’un d’entre
eux - Pirmarco
- me demande s’il peut m’accompagner. Bien sur avec plaisir, depuis le temps
que je me parle à moi-même ! Passage éclaire le temps d’un thé au Refuge
Grand Tourmalin, j’ai maintenant deux
pompiers au train, photo souvenir au sommet, et bout de descente ensemble
encore à très bonne allure – le terrain s’y prête bien – on ne se quitte
plus ! Le reste de la descente est un peu plus laborieuse, mais correcte.
Arrivée dans le gymnase désert de Valtournenche
avec ses 4 sacs qui attendent leur coureur. Il est 20h36. J’ai 12h
d’avance sur 2010 et inversé complètement les parcours jour/nuit. Très
agréable. J’y reste 27 minutes, le temps d’expliquer à des bénévoles inquiets
et interloqués que si je m’allonge les jambes en l’air sur le banc, ce n’est pas
que je vais mal, mais pour m’étirer et remettre du sang dans la tête !
Section
6 : Valtournenche – Ollomont – 44 km et 3.404D+ en 15h
Sommeil
2x10’ - Cumul 3h
Je
repars pour une longue nuit sur une section pas spécialement difficile dans
l’absolue, mais qui va s’avérer plus pénible de nuit de que de jour. A fortiori
seul. Et effectivement dans toute la montée vers la Fenêtre Tsan j’ai
l’illusion de voir souvent le refuge Reboulaz qui ne s’avère être finalement qu’un gros caillou. Je ne me
souvenais plus que c’était si long et loin. L’an dernier j’étais en chasse
derrière Uli et Abel. Cette année il me faut juste passer, seul. Enfin
Rebulaz ! Je décide de dormir 10 minutes. Le lieu est minuscule mais hyper
chaleureux. Huit couchettes, il doit être 3h du mat, j’emmerde tout le monde,
personne ne râle. 10 minutes après rebelote, je me lève et pas un reproche, pas
un soupir. Mieux quand je bois mon thé et mange un morceau, un randonneur s’est
levé et me demande si il peut m’accompagner jusqu’à Closé. Mais c’est le
pied ! Ca va peut-être m’éviter d’autres hallucinations nocturnes. Et puis
franchement le coin tout minéral, de nuit, ne m’inspire pas seul de nuit. Mon
compagnon s’avère une perle. Il marche quand je marche, cours vite en descente,
sens quand je veux parler ou non. A croire qu’il a été formé spécialement pour
être pacer ! Du coup les refuges de Cuney et de Clermont sont passent avec
beaucoup plus de facilité. La fatigue m’a fait oublier son prénom, mais si mes
remerciements à Closé se sont limités à une chaleureuse poignée de main, je
veux ici lui dire ici ma gratitude. Closé … en 2010 on m’avait interdit de m’y
reposer, j’avais galéré ensuite dans la bute de 1000 mètres pour basculer sur
Ollomont. Cette année on me le propose ! Il est 8h heure du matin, pas
vraiment l’heure de la sieste, plutôt celui de la grasse mat. Allez hop 10
autres minutes dans la tente chauffée, ça me fera mes 20 minutes pour la nuit.
Le pied ! La montée du coup se passe bien. Même si un couple de
randonneurs tranquillou millou qui me passent au ravito de Bruson et me
semblent impossible à rejoindre. Mais bon après 280 bornes, monter comme un
randonneur ce n’est parfois pas si mal. A la bascule ils me proposent de l’eau.
Et puis quoi encore. Ils ne veulent pas non plus me porter mon sac ??? Non
mais j’te jure des fois … La
descente est technique au début puis longue sur un chemin 4x4 qui serpente.
Mais là encore connaître le terrain est un grand avantage. Ne penser qu’à
gagner du temps et courir, courir, ne pas s’arrêter. Pas tant pour aller vite
que pour ne pas y passer du temps et de l’énergie mentale. Arrivée à la base
vie d’Ollomont à 12h05. Je pense prendre une douche et me changer. Mais
patraque voilà que l’on m’annonce que deux coureurs derrière viennent de passer
le Col Bruson (la bascule vers Ollomont). Non d’un petit bonhomme, mon sang ne fait
qu’un tour. Aurais-je perdu tant de temps à mon rythme randonneur ?
Vont-ils vite ? Je bois ma soupe, mange les pâtes, ne me change pas, on
oublie la douche. Durée de la pause, 13 minutes. Pour information, Dans la
réalité, Pablo et Eric le Pyrénéen sont
à plus de 2h et 3h30.
Section
7 : Ollomont – Courmayeur – 48 km 2609D+ en …
Sommeil
20’ - Cumul 3h20’
Je
repars en transe. Une motivation folle à refaire l’écart, creuser le trou,
écœurer toute velléité de poursuite. En plus je me prends à rêver de rattraper
Christophe Le Saux que l’on m’a annoncé un peu difficile. Une arrivée main dans
la main avec ce personnage digne d’une bande dessinée avec sa magnifique
chevelure blonde et son sourire accroché au visage, ce serait une superbe
conclusion. Oublié le rythme rando. Je suis rivé à ma mon alti pour garder à
minima un rythme de 13m/mn soit environ 800 mètres/heure. Au refuge Champillon
c’est le minimum syndical, une bière et un peu de solide, trois minutes
maximum, et ça repart vers le col Charmillon. Les 1.500D+ sont une formalité.
Mais je ne peux m’empêcher de regarder régulièrement derrière et je m’attends à
voir remonter une fusée. Une sorte de paranoïa s’installe doucement. Après la
descente, j’ai le souvenir terrible des huit kilomètres de chemin 4x4 assez
plats vers Saint Remy. Mais cette annéej’ai une arme secrète : un iPod
acheté spécialement pour l’occasion et qui a un usage unique : passer
cette zone en courant en ne pensant plus à rien, surtout pas au temps qui
passe. L’opération est une réussite totale. Marcus Miller, Zazie, et Bashung
font des merveilles ! Merci à eux. Je m’apprête à pointer joyeux à Saint
Remy … mais pas de poste de contrôle. Heuuu … serais-je arrivé trop
tôt ??? Bon ben je continue, et effectivement il a été décalé sur le
village voisin des Bosses. Il est 17h et une chaleur terrible s’abat sur moi.
Je prends cher sur les parties goudronnées. Avant le poste de
ravito/contrôle je me plonge dans une
fontaine, mouille même mes chaussures, et je me surprends à m’énerver contre
les bénévoles … parce que j’ai trop chaud !!! N’importe quoi. Eux gardent
le sourire, m’encouragent, me disent que j’ai l’air plus en forme que mes trois
camarades devant. Ah bon ??? Ce
doit être la Berezina devant alors ! Ce que je ne sais pas c’est que je
compterai à ce poste plus de 3h15 d’avance sur Pablo. Mais en attendant je suis
juste cuit. Peu après dans le village une fontaine m’apparait. Faisant fi de
toute décence, j’enlève short, tshirt,
chaussures, et plonge mon corps brulant dans l’eau froide. Cinq bonnes minutes
de bonheur. Me croyant remis à niveau, je poursuis et entame la montée vers le
Merdeux qui porte bien son nom avec un épandage permanent de lisier. Montée
laborieuse. J’arrive à la tombée de la nuit au ravito tenu par une quelques
jeunes bien sympa. Je décide de prendre
20 minutes de repos dans la remise arrière. J’ai très chaud et la tête qui
tourne. Mais rien n’est vraiment confort ici. Je passe du chaud au froid
rapidement. Bonatti ne me laisse pas un bon souvenir car l’an dernier j’y ai
passé 13 heures, le temps pour mon releveur droit de se débloquer à coup de
poches de glace, mais c’est assurément plus confortable pour s’y reposer. Alors
go, va falloir passer Malatra. Situé à plus de alt. 2.900 mètres, le final très
raide et en pierrier n’est pas très sur. Cela va s’avérer être mon chemin de
croix. En surchauffe permanente, j’ai la tête qui tourne. Je perds l’équilibre.
J’hésite par moment à redescendre. Je me
demande vraiment ce que je fous là. Bon sang, sans le dossard, j’aurais tout
arrêté à Bonne. Durant la montée je suis si lent que des vaches vont même m’accompagner. Sur le
haut, c’est pas à pas, mètre par mètre que je bascule. A la descente qui me
semble infiniment longue, je me jure bien de prendre un bon repos à Bonatti et
de m’y restaurer. J’y parviens bon grès mal grès, en me paumant assez souvent
(le balisage tombe avec le vent et ce n’est que du pierrier). Entre temps j’ai
allumé mon téléphone, car je me sens très fragile et je comprends bien qu’à
tout moment je peux basculer dans un autre état. Un sms m’annonce que Marco est
disqualifié. Je passe donc troisième. Whouaaa, trop bon. Et en même temps si
loin … Mon père m’appelle, s’inquiétant surement de mon état vu que je tarde à
pointer sur Bonatti. Je lui demande d’appeler Guillaume Millet pour demander à
avoir un gars de l’équipe sur Bertone et m’accompagner à la descente vers
Courmayeur. Ca me rassurerait. Arrivée à Bonatti à 23h30. Et là c’est un grand
n’importe quoi. La gardienne me propose de me reposer un coup, de boire un thé,
manger … je prends un verre d’eau, et sans même remplir mes gourdes presque
vides, je repars aussi sec. Semi-conscient, le pas chaloupant. Quinze minutes
après, sur le chemin menant à Bertone, je m’effondre. Impossible de me relever.
Ma course est finie. A six ou sept kilomètre de l’arrivée. Décidément cette zone
est bien mon triangle des Bermudes.
Commence
une autre épreuve. Tenir jusqu'à ce que l’on puisse m’aider. J’ai déjà sur moi
tout ce que j’ai emporté: veste, pantalon, et gants goretex, plus mes
gants en laine, un sous vêtement thermique, un bonnet. J’y ajoute ma couverture
de survie. Miracle elle ne se déchire pas ! Mais insuffisante pour couvrir
tout le corps et me protéger à la fois du sol et de l’air. J’appelle le
camarade Emmanuel Lamarle qui va se démener pour avertir l’organisation et
faire monter des secours. La gardienne de Bonatti ne peut pas bouger, car elle
doit garder le refuge. Nico m’appelle aussi. Ca fait du bien de parler. Ca
m’empêche de m’endormir et de me refroidir trop vite. Je suis déjà grelotant.
Et encore le temps est grand beau, peu de vent, la pleine lune éclaire
magnifiquement les Grandes Jorasses. Presque un rêve. Surtout ne pas basculer
dans le cauchemar. Pablo passe une heure trente après. Je suis transi de froid.
Il me rassure. Il enlève et me laisse sa veste goretex., sort sa couverture de
survie, remonte la mienne, et m’enveloppe le bas du corps avec la sienne,
m’isole beaucoup mieux du sol. Il va appeler les pompiers pour savoir où en
sont les secours. Il est pompier lui-même et a un contact personnel. J’aimerais
bien qu’il puisse rester avec moi le temps que les secours arrivent. Mais
voilà, il est maintenant en tshirt, mouillé de transpiration, et a vite froid
lui aussi à l’arrêt. Pablo partit, je me sens plus faible. J’allume ma frontale
en mode clignotant … Je vais me réveiller secoué fortement. J’ouvre les yeux et
aperçois une femme et un homme en train de me frotter vigoureusement. Elle est
médecin, lui guide. Ils sont monté en 4x4, puis ont marché 45 minutes pour me
trouver finalement grâce à la frontale. Heureusement que ma tête était tournée
du bon côté ! Un bâton lumineux devrait surement faire partie du matos
obligatoire. Un peu réchauffé, ils me portent en me laissant marcher, même en
trainant des pieds sur les cailloux, pour me réchauffer. Nous atteignons leur
4x4 en une trentaine de minutes. Le calvaire est terminé. Je suis soulagé.
Epilogue
J’ai
fait une course de rêve. Aucun problème physique, contracture, ampoules,
échauffement, ou autre tendinites. La gestion des temps de repos ont été
parfait, avec environ 3h20 en six arrêts sur moins de 90h de course. J’ai pu
accélérer quand je le voulais pour tenir les écarts. Et puis sur le final j’ai
ce grand coup de chaleur. Rien de bien terrible en soi, ça m’est déjà arrivé.
Au mieux je me repose un peu et me restaure, et ça repart. Au pire c’est
l’abandon. Mais jamais, grand dieu jamais, je me suis laissé allé jusqu’à un
état semi-conscient, et une perte totale de lucidité. Pourquoi là ? Je
sais que j’ai peu ou prou deux à trois heures d’avance sur le quatrième, et que
Christophe Le Seaux est arrivé. Donc plus d’enjeux. Qu’est ce qui justifie que
mon surmoi me pousse à l’urgence d’en terminer ? Pourquoi installe t il
une sorte de paranoïa qui me pousse à ne pas croire que le coureur de derrière
est loin. Et puis quand bien même. Est-ce cette vieille croyance familiale que
la réussite ne peut nous atteindre ? Un atavisme de la déroute qui me fait
aller dans le mur ? Est-ce la pression du dossard alliée avec une fatigue
globale extrême ? Bref sur ce sujet il va me falloir cogiter, et surement
prendre des décisions qui soient en phase avec mon moi. Ne plus laisser ni les
croyances, ni un quelconque surmoi trop compétiteur reprendre la main.
Peut-être même arrêter à nouveau la compétition et revenir aux plaisirs simples
et partagés de la rando hors de la tyrannie du chronomètre. J'y reviendrai dans un post dédié.
Je
fais également deux autres retours de cette expérience.
D’abord
que le matériel obligatoire n’est qu’un minimum. Bien loin d’assurer la survie
d’un coureur en perdition pendant plusieurs heures, le temps que les secours
n’arrivent. Et encore ai-je bénéficié de bonnes conditions météo. Qu’en aurait
il été sous la pluie et le vent ? A des températures bien plus
basses ? A méditer par ceux qui pensent toujours à n’emporter que le
minimum, quitte même à jouer avec les mots pour quelques centaines de grammes.
Ensuite
je me demande dans quelle mesure sur ce genre de course, il ne serait pas bon
de proposer aux coureurs un pacer sur la partie finale. Voir un bénévole qui
fait le parcours de Bonatti à Courmayeur avec le coureur. Possible puisque les
écarts sont de plusieurs heures. Notamment pour les premiers qui dorment assez
peu, et sous le coup d’une fatigue extrême, il est assez courant de voir des
cas de somnambulisme ou de perte de lucidité. La seule présence d’une personne
rassure et permet le cas échéant de pousser à un arrêt, au moins momentané. Je
me souviens d’Alexandre Forestieri qui en 2010 avait été retrouvé entre Bertone
et l’arrivée en train de chercher des champignons ! Guillaume Millet a
aussi raconté qu’il ne sentait plus très conscient. Et cette année encore Marco
Gazzola sort du parcours à Bonatti pour aller directement dans le Val Ferret.
Au
final le voyage est toujours aussi magnifique, les bénévoles et l’organisation fantastiques
de gentillesse et d’efficacité. Toute la vallée s’approprie cette course pour
en faire une magnifique fête. Alors quid de 2013 ? D’abord laisser du
temps au temps.